samedi 24 mai 2008

La mémoire procédurale



Suivant le principe développé dans le message précédent ("Cells that fire together, wire together"), parlons un peu de la "mémoire procédurale". Dans la littérature scientifique, cette forme de mémoire a reçu différentes dénominations : mémoire implicite, mémoire motrice, mémoire du cortex moteur, etc.



Prenons l'exemple classique de l'apprentissage du vélo. Lorsqu'un enfant apprend à faire du vélo, au début, ses gestes moteurs sont assez maladroits mais, progressivement (avec, parfois, quelques chutes !), les actions motrices impliquées dans le comportement "rouler à vélo" sont de mieux en mieux maîtrisées et deviennent de plus en plus "automatiques". Que se passe-t-il au niveau du cerveau ?
Durant cet apprentissage, le cortex moteur (plus précisément, les connexions synaptiques entre les neurones de ce cortex) subit des modifications constantes. Au plus l'enfant va produire les mouvements complexes impliqués dans l'action de rouler à vélo, au plus certaines connexions synaptiques vont se renforcer, au plus l'enfant maîtrisera les habiletés motrices reliées au comportement "rouler à vélo". Nous pouvons dire que ces modifications progressives, ce "renforcement" des connexions synaptiques (avec création de circuits neuronaux qui seront "activés" chaque fois que l'enfant va rouler à vélo) sont une forme de "mise en mémoire" de ce comportement. Ainsi, l'enfant a appris comment rouler à vélo et, une fois cet apprentissage réalisé, chaque fois qu'il voudra remonter sur un vélo, il se "souviendra" comment faire. C'est la mémoire du savoir-faire, du comment-faire. C'est une forme de mémoire, essentielle dans notre vie de tous les jours, qui nous permet de nous rappeler les "procédures" impliquées dans des actions motrices complexes.

samedi 17 mai 2008

"Cells that fire together, wire together"



Cette phrase, attribuée au psychologue canadien Donald Hebb, illustre très bien un principe important du fonctionnement de notre cerveau.


Pour vous expliquer ce que peut signifier cette phrase, imaginons 2 comportements humains légèrement différents (ou 2 manières différentes de réaliser un même comportement ; par exemple, se raser la barbe, préparer une omelette, etc.). Nommons ces comportements X et X'.



Maintenant, supposons que, lorsque la personne produit le comportement X, cela active un petit réseau neuronal, composé de 4 neurones (A, B, C et D). Ces 4 neurones sont activés de manière successive. Ainsi, le neurone A émet un influx nerveux (courant électrique qui circule le long de l'axone). Arrivé au neurone B, cet influx nerveux provoque la libération de substances chimiques (les neurotransmetteurs) qui vont "circuler" dans l'espace synaptique (c'est-à-dire le micro-espace entre les neurones A et B). Un influx nerveux sera alors généré à son tour dans le neurone B et ainsi de suite jusqu'au neurone D.



Par contre, lorsque la personne produit le comportement X', cela active un autre réseau neuronal, composé des neurones A, F, G et H. Vous pouvez remarquer que les 2 comportements activent le neurone A. C'est important pour comprendre la suite.

Chaque fois que la personne produit le comportement X, les neurones A, B, C et D sont activés ensemble ("cells that fire together") et, au fil des répétitions de ce comportement, les connexions synaptiques entre ces 4 neurones vont se renforcer ("wire together"). Ainsi, si la personne produit plus souvent le comportement X que le comportement X', la probabilité que le neurone A active le neurone B jusqu'au neurone D sera plus grande que l'activation de F, G et H. Le neurone A devient davantage "lié" au neurone B. Par contre, le lien entre les neurones A et F s'affaiblit.



Au départ, par exemple lors de l'apprentissage d'un comportement, la personne va peut-être produire à la fois les comportements X et X'. Cependant, si la personne finit par produire plus souvent le comportement X, celui-ci va aussi se renforcer (tout comme le réseau neuronal activé par l'émission de ce comportement) et finira par être produit plus souvent que le comportement X'. Une habitude comportementale est en train de naître ! La personne, face à une tâche comportementale précise (se raser, préparer une omelette), va maintenant réaliser cette tâche d'une certaine façon (X) au détriment d'une autre (X').
C'est un principe fondamental pour expliquer notre capacité d'apprendre et de "mettre en mémoire" de nouvelles informations, de nouvelles habiletés, et cela durant toute notre vie !


mardi 13 mai 2008

La réorganisation corticale chez les personnes amputées

Que se passe-t-il dans le cerveau d'une personne amputée ?


Le neurologue V.S. Ramachandran a démontré que, suite à l'amputation d'un membre, certaines parties du cortex de la personne se "réorganisent". Il s'agit plus précisément du cortex somatosensoriel, c'est-à-dire la partie du cortex cérébral qui reçoit les informations (véhiculées par les nerfs sensoriels) des différentes parties de notre corps (mains, jambes, visage, etc.).


Prenons l'exemple de Victor, un jeune homme de 17 ans dont le bras gauche a été amputé au-dessus du coude suite à un accident de voiture. Un mois après l'accident, Victor explique qu'il peut encore sentir la présence de son bras gauche (phénomème du "membre fantôme"). V.S. Ramachandran va faire une expérience. Il lui demande de fermer les yeux et stimule légèrement la joue gauche du jeune homme à l'aide d'un coton-tige. Puis il demande où Victor ressent la sensation créée par le coton-tige. Il situe la sensation sur sa joue gauche mais aussi... sur le dos de sa main gauche ("disparue" il y a un mois !). Lorsque le neurologue stimule la partie du visage située entre le nez et le menton, Victor ressent aussi une sensation au niveau de l'index de la main amputée ! Et, plus étonnant encore, lorsque Victor ressent l'envie de gratter une partie de la main amputée, il va être soulagé s'il se gratte le bas de son visage ! Comment cela peut-il s'expliquer ?


En fait, un phénomème qui avait déjà été observé chez les singes se produit aussi chez les personnes amputées. La stimulation du visage envoie des informations (sous forme d'influx nerveux) vers la zone du cortex cérébral représentant le visage mais également vers la zone corticale qui représente le membre amputé. C'est pourquoi la personne, comme Victor, va ressentir une sensation au niveau des 2 parties du corps ! Cela s'explique, sur les plans neuroanatomique et neurophysiologique, par le fait que de nouvelles connexions neuronales se sont créées entre les 2 zones corticales suite à l'amputation. Précisons que les 2 zones concernées (visage et bras) se situent l'une à côté de l'autre au niveau du cortex somatosensoriel. Ainsi, la zone corticale qui ne reçoit plus de stimulations du membre amputé (on comprend facilement pourquoi !) ne va pas, en fait, rester "silencieuse". Elle va se réorganiser et sera capable de recevoir des stimulations provenant d'autres parties du corps.
Un dernier exemple : il faut savoir que les zones corticales qui représentent les pieds et les organes génitaux sont aussi contiguës. C'est pourquoi une personne amputée d'un pied peut ressentir des sensations dans ledit pied pendant une relation sexuelle !
Je comprends mieux maintenant d'où vient l'expression "je prends mon pied" lorsque l'on ressent du plaisir !

jeudi 8 mai 2008

Les travaux de Jeffrey Schwartz sur les troubles obsessionnels-compulsifs (2ème partie)

Ce message est consacré à la description du traitement cognitif-comportemental élaboré par le psychiatre Jeffrey Schwartz, lequel a eu pour conséquence de diminuer les symptômes obsessionnels-compulsifs et de modifier le fonctionnement de certaines parties du cerveau (voir la 1ère partie de ce message).


Il s'agit d'un traitement composé de 4 étapes (d'où le nom du traitement : "Four Step Method") :



  • La 1ère étape, appelée "Relabeling", consiste a permettre au patient de prendre conscience que les pensées obsessionnelles-compulsives sont causées par un dysfonctionnement de son cerveau et que ces pensées sont donc les symptômes d'une maladie d'origine neurologique. Ainsi, les patients sont amenés progressivement à "observer" consciemment leurs pensées obsessionnelles-compulsives, à ne pas les repousser et à se dire que ce sont bien des pensées intrusives, non volontaires, qui proviennent d'un déséquilibre biochimique du cerveau. Ils en arrivent alors à "réétiqueter" ce qui leur arrive en se disant, par exemple : "Le problème que je vis présentement n'est pas que je dois absolument me laver les mains ; il s'agit plutôt d'une pensée intrusive, provenant d'un dysfonctionnement de mon cerveau, qui me dit que je dois me laver les mains sinon je vais subir une terrible maladie". A cette étape, l'angoisse et le sentiment d'urgence provoqués par les pensées obsessionnelles-compulsives ne disparaissent pas mais le patient apprend à mieux comprendre ce qui lui arrive réellement et à se "dissocier" peu à peu de ces pensées "fausses et trompeuses" ("false and misleading") . Ce ne sont pas mes pensées mais bien les symptômes d'une maladie neurologique !

  • La 2ème étape, appelée "Reattributing" est intimement liée à la 1ère et va seulement un peu plus loin dans le processus déjà commencé. Elle consiste à expliquer pourquoi les pensées obsessionnelles-compulsives reviennent constamment, pourquoi certains circuits neuronaux sont comme "bloqués" et "tournent en rond". Avec images du scanner à l'appui, il s'agit d'expliquer clairement et plus en détail le dysfonctionnement cérébral à l'origine du trouble. Ainsi, le patient est amené à attribuer (d'où le terme "reattributing") les pensées intrusives à des "messages" aberrants générés par un dysfonctionnement spécifique du cerveau.

En résumé, la 1ère étape consiste à savoir ce qui se passe et la 2ème à mieux comprendre pourquoi cela se passe de cette manière. Ces étapes sont importantes pour augmenter la compréhension et la prise de conscience du trouble afin de "préparer le terrain" pour les 2 étapes suivantes, qui vont davantage consister en une prise de contrôle consciente et volontaire du trouble.

  • La 3ème étape, appelée "Refocusing", est au coeur du traitement et est basée sur la notion d'effort volontaire ("willful effort") afin de diriger son attention vers une pensée autre que la pensée obsessionnelle, vers un comportement autre que le comportement compulsif. Cette étape nécessite un effort conscient et systématique de la part du patient. Chaque fois qu'une pensée obsessionnelle-compulsive apparaît, maintenant que le patient connaît et comprend d'où vient cette pensée (voir les 2 premières étapes), il s'entraîne à rediriger son attention vers une habitude, un comportement familiers et agréables (par exemple, marcher, cuisiner, jardiner, faire du tricot, etc.). Ce n'est pas facile et cela demande un effort d'attention soutenu car la pensée obsessionnelle-compulsive est toujours là et provoque de l'anxiété. Il s'agit de la partie la plus difficile du traitement et celle qui va entraîner les modifications dans le fonctionnement du cerveau.
  • La 4ème étape, appelée "Revaluing", a pour objectif de "changer la valeur", de changer le sens de ce qui arrive au patient, à la lumière des 3 précédentes étapes. Ainsi, il reconnaît et ressent pleinement que les pensées intrusives sont fausses, sans significations, sont des "produits toxiques" émanant du cerveau ("toxic waste from my brain") et peuvent être consciemment et volontairement "affaiblies" par d'autres pensées et comportements.

mercredi 7 mai 2008

Can you become a creature of new habits ?

C'est le titre d'un article très intéressant paru récemment dans le New York Times et qui parle, sans utiliser le terme directement, de "self-directed neuroplasticity".

Je vous invite à le lire à l'adresse suivante :

http://www.nytimes.com/2008/05/04/business/04unbox.html?em&ex=1210219200&en=b9a77d6629df9f25&ei=5070

samedi 3 mai 2008

Les travaux de Jeffrey Schwartz sur les troubles obsessionnels-compulsifs (1ère partie)

Au cours des années 1980 et 90, le psychiatre Jeffrey M. Schwartz (de l'université de Californie à Los Angeles) a élaboré un traitement des troubles obsessionnels-compulsifs basé sur la plasticité du cerveau. En voici un résumé. Pour les personnes désirant en savoir plus à ce sujet, vous pouvez consulter la liste des livres recommandés.


Bref rappel : le trouble obsessionnel-compulsif est une maladie neuropsychiatrique caractérisée par des pensées intrusives, répétitives et "non voulues" par la personne, lesquelles entrainent un besoin irrépressible de réaliser certains comportements (la plus connue par le grand public est l'obsession-compulsion de se laver les mains, mais il en existe beaucoup d'autres).


Dans un 1er temps, Jeffrey Schwartz a réalisé des scanners cérébraux (technique d'imagerie médicale) visant à comparer des personnes avec un trouble obsessionnel-compulsif et des personnes ne présentant pas ce trouble. L'objectif était de mieux comprendre le trouble sur les plans neuroanatomique et neurophysiologique afin de pouvoir, sur base de cette meilleure compréhension, élaborer un traitement plus efficace de cette maladie. Sans entrer dans les détails, cette analyse a démontré que 3 parties précises du cerveau sont "hyperactives" chez les personnes avec un trouble obsessionnel-compulsif.


Dans un 2ème temps, le psychiatre a progressivement élaboré un traitement de type cognitif-comportemental (voir la 2ème partie) et l'a appliqué avec des personnes obsessionnelles-compulsives. L'idée générale était de créer un traitement qui "normaliserait" le fonctionnement hyperactif des parties du cerveau impliquées dans la maladie et, par conséquent, diminuerait les symptômes de manière significative. Pour vérifier l'impact du traitement sur le cerveau, un scanner cérébral était administré avant le début du traitement et après la fin de celui-ci.


Le traitement, parfois en combinaison avec une médication antidépressive, a donné de bons résultats, même avec des personnes souffrant d'un trouble obsessionnel-compulsif sévère. Comme nous le verrons dans la 2ème partie de ce message, le traitement avait pour objectif de créer de nouvelles connexions neuronales en "affaiblissant" le circuit neuronal impliqué dans la maladie (c'est-à-dire le circuit formé par les 3 parties simultanément "hyperactives"). Les scanners réalisés après le traitement chez les personnes dont les symptômes avaient diminué de manière significative ont clairement montré des différences dans le fonctionnement de leur cerveau, avec une diminution de l'activité dans les 3 zones impliquées.


Ainsi, cette recherche a pu démontrer qu'un traitement cognitif-comportemental (faisant, entre autres, appel à la volonté consciente et dirigée de la personne) a eu pour conséquence de modifier le fonctionnement électro-chimique de certains circuits neuronaux.

jeudi 1 mai 2008

"The brain that changes itself"

Voici le titre du livre qui m’a fait découvrir de manière plus approfondie le merveilleux monde de la neuroplasticité. Bien sûr, comme neuropsychologue, je connaissais déjà ce concept et je pouvais en voir les effets dans ma pratique professionnelle. Je dirais aussi que, d’une manière plus intuitive, cela fait assez longtemps que je pense que le cerveau peut se modifier structurellement, entre autres de par sa constante interaction avec l’environnement. Cela m’a toujours paru étrange quand j’entendais ou je lisais des personnes considérer (directement ou indirectement) que le cerveau était une sorte de machinerie immuable, totalement programmée génétiquement, et qui, finalement, ne se modifiait pas vraiment sur le plan structurel tout au long de la vie. Mais, c’est grâce au livre sus-mentionné que j’ai commencé à approfondir ce sujet de manière plus systématique et qui m’a amené à créer ce blog.


Depuis, le voyage dans le monde de la neuroplasticité (et aussi de ce nouveau concept fascinant de "self-directed neuroplasticity") se poursuit et, par le biais de ce blog, j’espère pouvoir vous faire partager certaines étapes de ce voyage. Bien sûr, étant donné le caractère assez spécialisé du thème de ce blog et du fait que, jusqu’à présent, nous avons seulement 24 heures dans une journée (!), il y aura des pauses plus ou moins longues entre les étapes. Cependant, même si seulement une seule étape de ce voyage permet au lecteur de vouloir en savoir plus sur le cerveau et de se questionner sur sa capacité à se modifier au fil du temps, alors ce blog aura atteint son objectif !


Alors, bonne route !
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