samedi 24 janvier 2015

L'évaluation de la mémoire de travail en neuropsychologie (partie 1)

Dans ce message, je vais procéder en deux temps. Dans un premier temps, je vais décrire ce qu'est la mémoire de travail et donner quelques exemples de son fonctionnement dans la vie quotidienne (partie 1). Dans un deuxième temps, je vais décrire comment cette forme de mémoire est évaluée par les neuropsychologues cliniciens (partie 2).

Qu'est-ce que la mémoire de travail ?

C'est la capacité à maintenir en mémoire immédiate de nouvelles informations durant une période limitée de temps et de manipuler mentalement cette information afin de produire un résultat précis. Plusieurs notions décrites ici sont importantes et méritent d'être précisées davantage.

  • Période limitée de temps : Comme nous le verrons dans les exemples ci-dessous, il s'agit de maintenir en mémoire de nouvelles informations pendant une très courte période de temps. Cela est un élément très important dans la définition de la mémoire de travail. Il ne s'agit pas d'encoder des informations et de les stocker en mémoire à long terme. Les informations manipulées en mémoire de travail sont utiles pendant quelques secondes puis elles "disparaissent" et on ne s'en souvient plus.
  • La notion de manipulation mentale est aussi très importante. En effet, de manière générale, il y a un "travail mental" qui est réalisée sur les informations maintenues durant quelques secondes en mémoire de travail. C'est pourquoi le mot "travail" est essentiel dans la définition de la mémoire de travail. Il y a réellement un travail mental qui est réalisé pendant quelques secondes sur des informations précises, dans le but de produire un résultat précis.
  • Ajoutons aussi que la capacité de la mémoire de travail est limitée. Dans les exemples, nous verrons que nous pouvons maintenir et manipuler temporairement seulement quelques informations en même temps.
Voici quelques exemples tirés de la vie quotidienne pour mieux illustrer comment fonctionne cette forme de mémoire particulière :

  • Imaginez que quelqu'un vous demande de composer un numéro de téléphone que vous ne connaissez pas et que vous devez vous déplacer un peu pour aller composer ce numéro (par exemple, traverser deux pièces de la maison pour rejoindre le téléphone). Notez que c'est bien un numéro que vous ne connaissez pas ! C'est de la nouvelle information. Si vous connaissez le numéro, nous disons qu'il est stocké en mémoire à long terme et, alors, pas besoin de la mémoire de travail car vous connaissez le numéro et vous pouvez facilement le composer. Donc, vous entendez le nouveau numéro et, là, la mémoire de travail entre en jeu. Pour pouvoir réussir à vous souvenir du numéro et bien le composer sur le téléphone (résultat précis à atteindre), vous essayez de maintenir le numéro dans votre conscience immédiate en le répétant plusieurs fois (soit en chuchotant ou à voix haute ou encore silencieusement dans votre tête). Èn faisant cela, vous réussissez à maintenir la nouvelle information pendant quelques secondes en mémoire de travail afin que, lorsque vous arrivez devant le téléphone, vous êtes capable de composer le bon numéro. Notez ici que la répétition mentale est de nature verbale. On parle alors de mémoire de travail verbale. Certaines personnes pourraient très bien "visualiser" le numéro pour le maintenir quelques secondes en mémoire de travail. On parle alors davantage de mémoire de travail visuo-spatiale. Une fois l'action réalisée, vous continuez vos occupations et, rapidement, vous oubliez le nouveau numéro de téléphone. Si la même demande se reproduit plusieurs fois et que vous trouvez important de vous souvenir de ce numéro, vous allez le stocker en mémoire à long terme.
  • Utilisons l'exemple ci-dessus pour bien illustrer la capacité limitée de la mémoire de travail et aussi sa "fragilité" face aux distractions de l'environnement. Imaginez qu'une personne vous demande de composer un numéro de téléphone de 25 chiffres. Ce serait impossible pour vous de le maintenir quelques secondes en mémoire et de composer le numéro. Par contre, si le numéro contient environ 7 à 8 chiffres, vous serez capable, en le répétant ou en le visualisant mentalement, de composer ce numéro. La mémoire de travail, qu'elle soit verbale ou visuo-spatiale, ne permet que de manipuler quelques informations à la fois ! Bien sûr, il y a des variations selon les personnes et certaines personnes ont une meilleure mémoire de travail que d'autres et peuvent manipuler davantage d'informations en même temps. Enfin, imaginez que, pendant que vous vous dirigez vers le téléphone, une distraction se produit dans votre environnement (par exemple, quelqu'un vous parle ou vous frappez un objet et vous devez le ramasser), il est possible que le numéro de téléphone (que vous êtes en train de vous répéter mentalement) "s'évapore" soit totalement soit partiellement et que vous n'êtes plus en mesure de produire le résultat attendu. En effet, nous disons que la mémoire de travail est sensible aux interférences et aux distractions, qu'elles soient externes ou internes (pensées, émotions, etc.). Les informations maintenues mentalement pendant quelques secondes peuvent facilement disparaître et cela peut nous frustrer et nous empêcher de bien exécuter une action précise.
  • Imaginez maintenant que vous devez réaliser un calcul mental à plusieurs éléments. Par exemple : 32 X 2 +15 - 9. Pour résoudre ce calcul, vous allez devoir maintenir pendant quelques secondes certaines informations en mémoire de travail afin de trouver la bonne réponse. Disons que vous allez devoir garder en conscience immédiate les informations 64 et 79 pour finalement arriver à la bonne réponse (70). Là aussi, la capacité en mémoire de travail est limitée et ce serait impossible de réaliser un calcul mental qui comprend de nombreux éléments. Ici aussi, si vous êtes distrait durant la réalisation du calcul, il se peut que vous "perdiez" certaines informations et que vous ne puissiez pas résoudre le problème. Enfin, ici aussi, certaines personnes vont davantage être visuelles et vont plutôt "voir" les chiffres mentalement.
  • Mentionnons enfin l'importance de la mémoire de travail verbale dans une activité que nous faisons tous les jours : conversation avec une ou plusieurs personnes. En effet, pour pouvoir suivre une conversation de manière efficace, il faut pouvoir garder en mémoire de travail ce que la personne vient juste de dire. C'est pourquoi des personnes ayant un déficit en mémoire de travail (par exemple, personnes avec un trouble déficitaire de l'attention ou après avoir subi un traumatisme crânien) peuvent dire qu'elles ont de la difficulté à suivre une conversation, surtout avec deux ou plusieurs personnes ou encore lorsque l'interlocuteur parle vite et donne beaucoup d'informations en même temps. Souvent, dans ma pratique clinique, ces personnes disent qu'elles "en perdent des bouts" ou qu'elles "perdent le fil de la conversation".
J'ajouterai que le mot "mémoire" dans la mémoire de travail peut amener certaines confusions. Pour la plupart des gens, le mot "mémoire" va faire référence à la notion de "se souvenir d'informations passées" ou "récupérer certaines informations en mémoire à long terme" ou encore "apprendre de nouvelles informations et les stocker en mémoire à long terme pour les utiliser plus tard" (dans les apprentissages scolaires par exemple). Ce n'est pas ce qui se passe ici. Pour moi, la "mémoire de travail" fait plutôt appel aux processus attentionnels. C'est une forme d'attention immédiate et de courte durée qui nous permet de "maintenir en conscience" certaines informations afin de pouvoir les manipuler mentalement et produire une action ou un résultat précis.

En neuropsychologie, c'est pourquoi la notion de "mémoire (fonctions mnésiques)" et de "mémoire de travail" sont bien distinctes et sont évaluées de manière différente, à l'aide de tests différents. Nous verrons cela plus en détail dans la 2ème partie de ce message.
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